Le télétravail en France : du mythe vers la réalité

Après plus de 20 ans, je replonge ce soir dans mes travaux de thèse de Doctorat menés à l’Université Panthéon-Assas.

C’était les années 90′, nous étions une trentaine d’étudiants inscrits à la nouvelle spécialité lancée par l’université : Médias et Multimédia. C’était donc l’époque où nous avons commencé à parler des autoroutes de l’information. Le mot digital n’existait pas encore et Google n’avait pas encore fait son apparition.

La France commençait à avoir du retard par rapport à ses voisins européens et bien évidement par rapport au monde anglo-saxon. 

Par contre, la France était fière d’avoir inventé le Minitel et la télématique mais n’a pas eu le courage d’avancer plus franchement dans les usages des technologies pour ré inventer, entre autres, les modes de travail et d’organisation. 

Ma thèse portait sur les enjeux des technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans la société française. Depuis, ces NTIC ne sont plus nouvelles ! Elle a traité l’ensemble des enjeux de communication, d’organisation et de performance liés à l’introduction de ces fameux NTIC dans nos grandes entreprises. 

Ce texte est donc tiré d’un long chapitre de ma thèse dans lequel j’ai évoqué l’avènement du télétravail (entre mythe et réalité) en France à la suite des possibilités technologiques désormais offertes. 

Nous étions début des années 1990. J’ai mené l’enquête auprès des grandes entreprises françaises notamment du secteur banque et assurance. Aujourd’hui, depuis la COVID, ce qui me frappe, c’est l’incroyable bouleversement qui s’est opéré dans notre définition même du travail. 

Un regard réflexif très utile pour dire à quel point le rythme de la technologie et celui de la société ne sont pas toujours raccords !

Bonne lecture

Faouzia Rejeb 

télétravail en France Thèse Faouzia Rejeb agence DifferenCie

1. Introduction 

On parle aujourd’hui de plus en plus de l’entreprise virtuelle. On annonce alors que celle-ci est devenue une nécessité économique dans un environnement où le maître mot est la réactivité, la flexibilité. Mais, c’est-à-dire quoi virtuelle ? et comment une entreprise peut-elle devenir virtuelle ? Le caractère virtuel d’une chose suppose que celle-ci conserve seulement certaines priorités indispensables à sa réalisation. Les NTIC, considérées comme un élément de compétitivité et de performance, sont aussi un facteur de modifications organisationnelles de l’entreprise. Parmi ces transformations, le raccourcissement des distances et du temps.  C’est le phénomène de la délocalisation de ses activités qui a donné naissance à la notion de l’entreprise virtuelle et à celle du travail à distance devenu peu après le télétravail.

 

Depuis l’apparition des moyens techniques rendant possible le télétravail, nombreuses sont les réflexions et les manifestations qui se sont engagées avec enthousiasme comme en témoigne par exemple « La semaine européenne du télétravail » qui s’est tenue du 4 au 11 novembre 1996. Toutes les prédictions prévoient un bel avenir pour le télétravail et s’accordent sur l’idée suivante : le télétravail, grâce aux avantages qu’il peut offrir aux acteurs de l’entreprise, sera, incontestablement, le nouveau mode de travail et la nouvelle forme d’organisation de l’entreprise. Avec la disparition (partielle ou totale) du contact physique entre l’opérateur et son supérieur hiérarchique, le salarié obtient ainsi une liberté d’initiative plus grande par rapport à la décision à prendre. De son côté, le chef d’entreprise escompte de nombreux avantages économiques : réduction des charges d’exploitation, amélioration de la productivité, augmentation de la flexibilité, …  

 

Tout a commencé avec le rapport de Simon Nora et Alain Minc célébrant le mariage de l’informatique et des télécommunications et annonçant la notion de la télématique. Ce rapport constitue l’une des premières réflexions sur le travail à distance. Depuis, analystes, chercheurs, praticiens se consacrent à ce nouveau mode de travail, on trouve même des magazines spécialisés dans ce domaine. Dans les années 1970, on annonce déjà que d’ici la fin du 20ème siècle, des catégories importantes de personnel travaillaient à domicile.

 

En 1971, une étude du Bell System prévoyait que tous les cadres américains travailleraient  chez eux en 1990. Les estimations du développement des téléservices en France données par Thierry Breton montrent qu’ils ont un véritable avenir. En effet, les hypothèses de l’auteur concernant les téléservices fonctionnels ainsi que la téléinformatique et la télégestion d’équipements montrent que ces derniers vont se développer considérablement. D’autres initiatives ont été organisées pour expérimenter et populariser cette forme de travail tel que les appels à projets lancés par la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) et par France Télécom. 

 

Cette effervescence s’est accompagnée, parallèlement, par la création de nombreuses sociétés de télétravail proposant à ses clients des téléservices et l’expérimentation de certaines entreprises de taille variée de cette forme de travail en délocalisant un certain nombre de leurs effectifs ou incitant quelques-uns de leurs agents à travailler à domicile. En effet, des expériences ont été menées dans les années 1990 concernent aussi bien le secrétariat, la production scientifique, l’enseignement à distance, l’ingénierie informatique. Le secteur de télécommunication, qui est à la base du développement du télétravail, expérimente lui-même de nombreuses applications. Parmi les premières expériences menées est celle de France télécom. L’opérateur téléphonique a créé des postes de télémaintenance des centraux électroniques et propose des structures de formation à distance pour ses salariés.

2. Définition du télétravail

Le concept de télétravail remonte à 1950 où il a été utilisé par Norbert Wiener dans son ouvrage « The human use of Human Beings ». Mais, ce n’est qu’à partir de 1970 que le télétravail se présente comme une alternative à la forme classique du travail.   

 

Les définitions pour ce nouveau mode de travail sont abondantes. Elles varient selon le critère pris en compte : technique, sociologique et organisationnel. 

 

On peut définir, dans une première approche, le télétravail comme étant un travail à distance utilisant, de manière massive, les moyens de communication. Le cadre juridique donne la définition suivante : « Le télétravail est une modalité d’organisation et/ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel, par une personne physique, dans les conditions suivantes : d’une part ce travail s’effectue à distance (c’est à dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat  de ce travail est attendu) et en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur ; d’autre part, ce travail s’effectue au moyen de l’outil informatique et/ou des outils de télécommunications.

Il implique la transmission au moyen d’une ou plusieurs techniques de télécommunication des données utiles à la réalisation du travail demandé, et du travail réalisé ou en cours de réalisation ».

Dans un rapport paru en 1994, le Ministère de l’Agriculture définissait le télétravail comme « toute forme de travail à distance facilitée ou rendue possible par les technologies de communication et d’information, effectuée pour une entreprise par une personne salarié de l’entreprise».

La DATAR définit le  télétravail comme une modalité d’organisation et/ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel, par une personne physique, dans les conditions cumulatives suivantes :

  • Travail exercé à distance, c’est-à dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat de ce travail est attendu et en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur.
  • Travail effectué au moyen de l’outil informatique et/ou des outils de télécommunications et impliquant nécessairement la transmission des données utiles à la réalisation du travail demandé.

L’Inspection Générale des PTT définit le télétravail comme étant « une structure d’organisation du travail visant, par la mise en œuvre de moyens de télécommunications performants et le plus souvent spécifiques, la réalisation d’opérations de travail dans une situation où l’utilisateur (entreprise, établissement, donneur d’ordres) et l’acteur de travail se trouvent géographiquement éloignés l’un de l’autre ».

 

Deux termes reviennent dans ces définitions : la délocalisation et l’utilisation des moyens de télécommunication. Le télétravail est donc « un travail réalisé par une unité (personne ou groupe) délocalisée, c’est-à-dire séparée de son établissement et dont l’activité nécessite l’utilisation intensive de moyens de télécommunication »

 

Selon le contexte, on peut distinguer plusieurs situations très différentes d’un télétravailleur : les télétravailleurs indépendants, les salariés de centres de services, informaticiens travaillant chez eux le week-end, les commerciaux exerçant leur activité depuis un hôtel, … Mais, l’exemple le plus simple qui illustre ce nouveau mode de travail est la délocalisation du poste de la secrétaire. Cette dernière, en s’équipant d’un ordinateur relié par un réseau au siège de l’entreprise, peut envoyer en temps réel les dossiers que vient de les traiter. Afin d’éviter les confusions, Denis Ettighoffer définit le télétravailleur comme « celui qui serait incapable d’exercer son activité professionnelle s’il étai coupé des télécommunications ». Au mot du télétravail, l’auteur préfère le mot « téléprésence » ou « la présence à distance ». 

 

Quand on parle du télétravail, on évoque généralement les termes suivants :

    • Contrôle/autonomie,
    • Centralisation/décentralisation, 
    • Communications formelles/communications informelles.
télétravail thèse de Faouzia Rejeb agence DifferenCie

3. Les facteurs de l'expansion du télétravail

La synergie entre la possibilité des nouvelles techniques de communication, la compétition sur les marchés, et les nouvelles données socio-économiques, font du télétravail un élément de compétitivité et de performance. Cet intérêt est, pour partie, issu des progrès des nouvelles techniques qui rendent ce mode de travail plus productif. Il devient ainsi une alternative stratégique rentable pour certaines entreprises. D’autres sources d’intérêt, notamment individuelles, résident dans des préoccupations d’environnement et de qualité de vie des salariés. 

 

Le télétravail est synonyme de plus grande autonomie dans l’organisation de son travail, il augmente la responsabilisation, ce qui se reflète sur la motivation et la productivité. Il ne faut pas négliger l’influence que peut avoir pour lui la perspective de mieux gérer sa vie personnelle, la réduction des frais de transports, de repas, etc.

 

Pour la Société en général, le télétravail est aussi porteur d’espoirs en matière de réduction de la circulation routière, réduction de la pollution atmosphérique, économie sur les infrastructures de transport (routes, transport en commun, etc.) et réduction du nombre d’accidents routiers ( avec pour corollaire son impact sur le coût des assurances). 

Les experts s’accordent à dire que nous allons vivre un bouleversement dans les valeurs et compréhensions de ce qu’est le travail : En effet, les ordinateurs permettront le développement de techniques où le lieu de travail sera virtuel ; où il y aura de moins en moins de bureaux individuels, mais plutôt des bureaux communs partagés et des salles de réunion ; où la masse des relations interpersonnelles se fera par contacts électroniques ; On ne parlera moins d’heures de travail et bien plus de résultats. 

Compte tenu de l’évolution technique actuelle, cet avenir est très rapproché et toutes les organisations (privées ou publiques) se doivent d’emboîter le pas pour demeurer compétitives. On comprend donc que le télétravail a des impacts énormes sur de nombreux plans et qu’il importe que toutes les ressources concernées soient sensibilisées à ce nouvel enjeu.

 

Le télétravail est vraisemblablement une des formes d’organisation qui pourra apporter des éléments de réponse à ces nouvelles contraintes d’efficacité. Il devient donc un des outils privilégiés d’une organisation compétitive du secteur tertiaire. 

Les facteurs techniques

La performance accrue, la souplesse et la réduction du coût des équipements informatiques associées à la facilité d’accès aux réseaux constituent les conditions de développement du télétravail. L’évolution des outils de transmission de données est, tout d’abord, le premier facteur technique qui permet la mise en place du télétravail, surtout le télétravail sédentaire qui nécessite le plus d’équipement. A ce facteur, s’ajoute un autre aussi important ; celui de la réduction du coût des ordinateurs. En effet, ces dernières années, on assiste à l’apparition des ordinateurs individuels qui deviennent accessibles à un public plus large grâce à la baisse des prix des composants. 

 

L’évolution de la télématique s’accélère depuis la crise pétrolière de 1973. Cette crise était, pour les économies occidentales, une occasion de prise de conscience du danger que peut entraîner le gaspillage dans les transports individuels et publics. Le transport électronique des données et des documents apparaissait donc comme l’alternative, la plus sûre et la moins chère, au transport physique. Aujourd’hui, le développement des réseaux de communication et surtout l’explosion de l’Internet ont amplifié le mouvement.    

 

L’infrastructure technique nécessaire au déploiement du ce mode de télétravail existe : Il suffit en effet d’équiper le domicile d’un micro-ordinateur de bureau avec ses périphériques associés et les logiciels de communication  (browser, clients de messagerie et de groupware..). L’ordinateur « communicant » est donc l’outil de base pour un télétravailleur. Il lui donne accès à tous types d’informations nécessaires à l’exercice de sa fonction. Il peut par exemple consulter des bases de données ou envoyer des messages et informations en temps réel. Les réseaux Internet et Intranet sont donc des précieux outils de travail pour le télétravailleur. Il peut également, grâce au groupware, échanger avec des collèges délocalisés et travailler sur un projet commun.

 

Pour la transmission des messages, les infrastructures sont de plus en plus performantes. Avec la compression numérique, Numéris est un outil particulièrement adapté au télétravail. Il utilise les lignes téléphoniques pour transporter rapidement et sur un même câble voix, textes et images fixes ou faiblement animées. Poste téléphonique, micro-ordinateur avec kit de visiophonie, télécopieur peuvent être connectés simultanément au Numéris sur la même prise.

 

Pour le télétravailleur « nomade », il a surtout besoin d’outils mobiles tel que le micro-ordinateur portable et le radiotéléphone numérique des réseaux GSM. Avec la commercialisation des produits « compacts » qui combine à la fois les fonctions du téléphone portable, de l’ordinateur et de l’agenda, on peut désormais parler du futur « bureau mobile de poche ».

Les facteurs sociaux

De l’enquête du Credoc, effectuée fin 1996, sur les références de consommation et modes de vie en France, il ressort que la perspective des pratiques de télétravail motive environ 25 % de la population. Le développement de l’usage professionnel de l’Internet peut jouer à cet égard un rôle important, voire moteur : en ouvrant des possibilités de collaboration pratiquement illimitées, il tendra à transformer le télétravailleur en travailleur en réseau et tirera le télétravail « vers le haut », c’est-à-dire vers des activités à haute valeur ajoutée : recherche, analyse, conseil, conception, création… Il s’agit d’un positionnement fondamental pour l’avenir de notre pays.

 

Selon une enquête de « télétravail Magazine » réalisée auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, 35% des français se disent prêts à essayer le travail à domicile.

 

Les Franciliens, selon étude Téléurba de janvier 1996 perdraient environ 7,5 millions d’heures par jour dans les transports. La réduction de la durée et la pénibilité des déplacements (travailleurs éloignés ou handicapés…) sont donc des facteurs qui favorisent l’expansion du télétravail. Selon les données recueillies en 1994 par Empirica pour le projet de l’Union Européenne TELDET, la France est, après l’Espagne, le pays d’Europe occidentale le plus enthousiaste en matière de télétravail. 39,4% de la population active y est favorable, contre 35,8% en Grande Bretagne, où le travail à distance s’est pourtant davantage implanté. 

 

Les sociologues trouvent dans le télétravail une libération du travailleur de certaines contraintes (déplacement, disponibilité et organisation personnelle du travail) et une possibilité pour les personnes ayant un handicap provisoire ( femmes enceintes, maladies..) ou définitif de maintenir une activité économique dans le cadre d’une entreprise. Pour d’autres, l’informatique est une solution qui permet de mieux gérer la vie familiale et professionnelle, de réconcilier l’individu avec son environnement et le libérait des contraintes géographiques. Les espoirs formulés, en 1980, par Jacques DeLors, alors directeur du Centre de Recherche « Travail et Société » de l’Université Paris Dauphine résument cela : «  Notre espoir est double : d’une part une rénovation du milieu rural, d’autre part un couple habitat-travail différent de celui de la deuxième révolution industrielle… Quand on veut diminuer les coûts d’énergie, de transport, de structures immobilières, on diminue du même coup l’accès à l’information et la sociabilité. Le télétravail peut-il permettre de rééquilibrer le territoire français et éviter, comme nous le voyons aujourd’hui, que certaines parties de la France ne se remplissent que deux ou trois fois par an ? »

De manière générale, le télétravail permet :   

  • Une meilleure gestion du temps personnel.
  • Un gain de temps et de fatigue pour les salariés
  • De garder son emploi malgré la délocalisation de l’entreprise.
  • De travailler à temps partiel.
  • La réduction du coût immobilier et la limitation des besoins d’infrastructure.
  • La négociation entre l’entreprise et les représentants du personnel.
  • D’utiliser d’autres liens contractuels que les CDI-CDD pour certaines tâches.
  • Une baisse des émissions polluantes pour les grandes agglomérations, (c’est à ce titre que la Californie aide les entreprises qui font largement appel au Télétravail comme Hewlet-Packard), 
  • La possibilité de maintenir des emplois dans des zones rurales ou en reconversion, 
  • La possibilité de travail pour les handicapés moteurs, …

4. Les implications du télétravail

Cette figure organisationnelle correspond à la recherche de la souplesse et de la flexibilité de la gestion de la main-d’œuvre. Mais, ce qui est significatif dans le télétravail ce n’est pas la délocalisation en soi, c’est plutôt les implications de celle-ci. Le télétravail fait éclater la règle des trois unités (temps, lieu, action) qui régissait la grande majorité des situations de travail. Elle redéfinit les frontières spatiales, temporelles et institutionnelles de l’entreprise. « Cette forme de travail laisse entrevoir un contexte nouveau, où l’appartenance à l’entreprise n’est plus un concept binaire, et qui du coup peut contribuer à gommer certains mécanismes d’exclusion »

 

Le plus souvent, les problèmes les plus délicats soulevés par le télétravail concernent l’organisation, le contrôle d’hygiène et de sécurité, la prise en charge des frais, la responsabilité, notamment en cas d’accident.

 

La conséquence directe mais aussi la condition préalable de la mise en place du télétravail : une certaine autonomie du personnel qui est, en soi, une condition essentielle de mise en valeur du capital humain. L’autonomie rompt avec la logique taylorienne (le « one best way »), favorise ainsi l’initiative et permet de gérer autrement l’activité et le temps de travail. Désormais, ce qui compte aux yeux de l’employeur c’est le produit et non plus la présence ou le temps passé à effectuer une tâche. Le personnel est donc payé à la tâche, à la prestation.

 

L’examen de l’état du télétravail dans plusieurs pays, comme la France, a montré que le télétravail convient tout particulièrement aux cadres qualifiés et indépendants, justement parce que cette catégorie du personnel bénéficie d’une autonomie. Ceci n’exclut pas la présence du personnel moins qualifié dans le travail à distance : ils constituent ainsi des « groupes semi-autonomes ». L’autonomie peut ne pas correspondre à certaines catégories de salariés qui ont besoin de contraintes, de repères matériels et de rappels à l’ordre.

 

On assiste aussi à une transformation de la logique de contrôle. En effet, dans le modèle d’organisation classique, le contrôle par l’encadrement est essentiellement fondé sur la vérification de la présence physique des personnes travaillant dans l’équipe. Le développement du télétravail suppose donc une révision des méthodes classiques de management et de contrôle. 

 

Un responsable, habitué à commander, n’a plus ses troupes à sa disposition. Il perd ainsi son statut et n’a pas forcément la capacité à se transformer en animateur d’équipes. Le salarié ne peut plus être contrôlé simplement à travers ses horaires et son activité immédiate : le télétravail implique qu’on l’on soit capable de définir au salarié des objectifs à atteindre assortis d’indicateurs pertinents pour évaluer son travail. L’autonomie devient une sorte de contrôle de son propre travail : c’est une autonomie « surveillée ». Ce problème de contrôle se pose aussi pour les syndicats. En effet, l’emploi se situe dans une logique de statut et se mesure en heure (période pendant laquelle l’employé est sous l’autorité et la responsabilité de l’employeur lui-même sous surveillance du syndicat alors que le travail correspond à l’accomplissement d’une mission ou d’une tâche : ce qui importe c’est le résultat, pas le temps qu’on y ait passé.

 

On suggère que le contrôle de la présence physique des personnes puisse être remplacé par des méthodes informatiques de présence en ligne, des méthodes qui doivent être, pour être facilement vécues, discrètes et transparentes. Certaines entreprises, surtout anglaises et américaines, proposent le télétravail à certaines catégories de leur personnel. Équipés d’un matériel performant, le personnel est considéré comme étant des consultants. Un certain nombre d’activités seront ainsi délocalisées ou externalisées. Le télétravail est conçu comme étant un facteur permettant d’améliorer les conditions du travail et qui convient particulièrement à des contrats de sous-traitance : sous-traitance interne quant il convient d’assouplir le contrat de travail, externalisation complète dans d’autres cas. 

 

En France, le code du travail conçu autour des concepts de la production traditionnelle a du mal à appréhender ce nouveau mode d’organisation




MARQUE EMPLOYEUR POLE EMPLOI AGENCE DIFFERENCIE Faouzia Rejeb

5. L'état du télétravail dans les entreprises

Le télétravail, cette nouvelle figure technico-organisationnelle rendue possible par les réseaux de télécommunications, pose une question essentielle : suffit-il d’acquérir les possibilités techniques pour s’en servir ? Un bref retour historique nous aide à mieux comprendre cette problématique. Déjà, dans les années 1980, on s’est posé la question sur l’usage organisationnel de la télématique. Les cas de télétravail sont limités et confirment le mythe construit autour de ce projet organisationnel. Même si, statistiquement, le télétravail progresse timidement, certains chercheurs le considèrent comme étant « une figure type de ce que préfigure l’usage organisationnel de la télématique »    

Les statistiques sur le nombre de télétravailleurs existant sont peu fiables, en raison de la difficulté qu’éprouvent les statisticiens à délimiter le terme du télétravail. En 1993, Thierry Breton a comptabilisé  16 000 télétravailleurs en France et on compte, selon la même définition du télétravail, environ 20 000 en 1995. Avec ce chiffre, la France est bien en retard par rapport à d’autres pays notamment les Etats Unis qui comptent, selon l’enquête de la tribune Desfossés paru en novembre 1995, 398 000 télétravailleurs mais aussi des pays européens tel que l’Allemagne (157 000), le Royaume-Uni (57 000), les Pays Bas (31 000) et l’Italie (25 000). 

En 1994, une étude fut réalisée par l’institut allemand Empirica. Les résultats furent les suivants : le Royaume-Uni détenait la première place avec 560.000 télétravailleurs, la France venait en seconde position avec 215.000, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie étaient loin derrière. Les taux de pénétration du télétravail dans les entreprises étaient de : 

  • 7,4 % au Royaume-Uni ; 
  • 7 % en France ; 
  • 4,8% en Allemagne ; 
  • 3,6% en Espagne ; 
  • 2,2% en Italie(2). 

Le rapport du ministère de l’Economie note que l’écart est frappant entre la France, avec 2,9% de la population active, et le reste de l’Europe (notamment avec les pays du Nord), avec 6%. En France, l’augmentation a été de 67% entre 1997 et 1998 mais cela ne représente que 420 000 personnes contre 1 455 000 au Royaume uni. Notons que dans ce domaine, en France, le GAN et le groupe Axa sont les premiers à développer le travail à domicile.

Actuellement les chiffres ne sont guère plus élevés ou plus clairs. Cependant, selon le rapport sur « l’Europe et la société de l’Information planétaire », il serait possible de créer 10 millions de postes de télétravailleurs pour l’an 2000 en Europe. Selon le même rapport, potentiellement 19% des forces de travail en Europe pourraient être du télétravail. Cela correspondrait à 26 millions de télétravailleurs. Le but de la Communauté pourrait ainsi être atteint avant l’an 2000.

Dans le cadre de notre enquête, les cas de télétravail sont rares et confirment l’idée que ce type de travail reste un mythe. En étudiant ces cas, on finit par les classer dans une autre définition que le télétravail. Ce sont plutôt des arrangements entre l’entreprise et certains salariés. Pour les désigner, nous préférons mettre le mot télétravail entre guillemets. 

6. L'attitude des responsables face à ce modèle d'organisation

L’attitude de l’ensemble des responsables est unanime : le télétravail n’est pas dans l’ordre du jour des projets de l’entreprise. Même s’ils signalent la présence de certains cas, les responsables affirment l’absence de toute volonté claire et affichée de la part de la direction visant à élargir ce mode de travail. 

 

L’absence d’une réflexion peut s’expliquer par le fait que le télétravail n’est pas adapté à la nature de l’activité de ces entreprises. Or, les études sur le télétravail montrent que certaines fonctions, dans n’importe quelle activité, peuvent être effectuées à distance (secrétariat, études, assistance, ….). Mais, au-delà de ce facteur, l’absence même de la réflexion sur ce sujet est un élément qui contredit les futurologues annonçant le recul du travail « présentiel » grâce aux réseaux de communication. On se demande alors si les responsables sont conscients de l’apport économique qu’ils peuvent escompter grâce au télétravail ( réduction de certaines charges d’exploitation, amélioration de la productivité, augmentation de la flexibilité, …). 

 

Dans le cas du télétravail comme dans d’autres, la réticence est plutôt d’ordre culturel.  L’introduction du télétravail dépend, comme le confirment les responsables, en grande partie de la culture de l’entreprise. « On commencera à y réfléchir si on trouve une cinquantaine de personnes qui sont intéressées par ce mode de travail. La technique permet aujourd’hui  la mise en place du télétravail mais tout dépendra du facteur humain », affirme un responsable. A partir du moment où l’entreprise souhaite « délocaliser certaines activités, il importe qu’un travail d’information et de sensibilisation doit être mené auprès du personnel. 

 

Mais, cet aspect n’est qu’un revers du blocage culturel au sein des entreprises. Si les responsables trouvent que le développement du télétravail dépend, en grande partie, de la volonté du personnel, ils oublient que c’est tout le mode de fonctionnement des entreprises françaises qui est en cause. Ainsi, les auteurs du rapport ministériel consacré à l’Internet montrent que les freins culturels sont liés au mode de fonctionnement des entreprises françaises. Tout d’abord, la confusion, trop fréquente, dans le milieu professionnel, entre les notions d’emploi et de travail. Ensuite, le passage d’une logique de soumission à une logique de mission ou de commission ( qui est aujourd’hui le cas des cadres et des commerciaux) n’est pas simple. S’ajoute à cela, les caractéristiques très contraignantes de l’organisation du pouvoir et celle du travail. En effet, l’organisation du pouvoir se base sur des hiérarchies parfois encore lourdes et l’organisation du travail est fondée sur le contrôle du temps passé plus que le résultat obtenu. Enfin, le rapport explique que la « gouvernance » de tradition royale, où les cadres sont davantage préoccupés par la satisfaction du chef que du client, représente un frein redoutable. 

 

Au-delà de cet aspect sensible, l’ensemble de ces responsables résument la réussite de l’implantation du télétravail dans les deux facteurs suivants  :

Les moyens techniques

Cet élément renvoie aux obstacles techniques au développement du télétravail. Aujourd’hui, la panoplie de base du télétravailleur existe. Elle se résume à un téléphone, un micro-ordinateur avec des applications classiques et un modem, un télécopieur et une imprimante pour les plus équipés. La question soulevée par certains responsables concernant le débit des réseaux se trouve aujourd’hui résolue. En effet, des outils de plus en plus sophistiqués sont disponibles sur le marché. Par delà les possibilités offertes par la téléphonie, toute une catégorie de « large  bande » offre des vitesses de transmission de kbits/seconde et plus. A côté de RNIS, cette catégorie comprend le câble à fibre optique, les micro-ondes et les ondes hertziennes impliquant ou non l’utilisation de satellite. S’ajoute à cette panoplie, Internet qui présente un atout majeur pour le développement du télétravail et satisfait les besoins des acteurs en termes de rapidité et d’instantanéité de la transmission des données.

  

Par contre, un aspect technique peut constituer un vrai obstacle : celui de la compatibilité des matériels informatiques et télématiques. En effet, la mise en réseau est plus facile lorsque le matériel et les logiciels utilisés par les personnes et organismes reliés sont compatibles entre eux. Cette compatibilité est difficile à assurer pour des systèmes travaillant sur des équipements de marques différentes. 

Adapter les profils à cette forme de travail

Le télétravail convient à certaines activités plutôt que d’autres. Afin de les cerner, un effort doit être engagé dans ce sens pour délimiter les activités qui peuvent potentiellement être concernées. 

Par delà les freins signalés au cours de l’enquête, d’autres sont aussi importants. Si l’équipement indispensable au télétravail est déjà existant, son développement nécessite des infrastructures sociales. 

Les freins se présentent surtout au niveau du télétravail sédentaire. Ils sont d’ordre culturel et organisationnel. La délocalisation des télétravailleurs pose des problèmes de gestion et d’organisation. L’organisation du travail doit donc s’adapter spécifiquement au télétravailleur et il faut engager une réflexion en termes de nouvelles structures socio-organisationnelles. En plus, l’équilibre psychologique est un élément très implorant dans le développement du télétravail car la personne doit assumer son isolement et son autonomie. 

Un autre aspect qui freine aussi le développement du télétravail est celui de la position nuancée et réticente des syndicats sur le télétravail. Les réticences initiales ont souvent été liées à la difficulté d’exercer le droit syndical dans un environnement dans lequel les salariés ne sont plus présents dans l’entreprise. L’information syndicale devient difficile à transmettre avec le risque de perte d’audience qui peut en découler. Les organisations syndicales, afin de s’adapter à ce nouveau mode de travail, suggèrent des règles pour préserver les acquis sociaux des salariés. Parmi ces règles, on note : 

  • Le droit à l’isolement par rapport à l’entreprise, c’est-à dire le droit de ne pas être joignable à certains moments.
  • Le droit à l’insertion, c’est-à-dire le droit d’alterner travail à domicile et travail dans l’entreprise.
  • Une nouvelle définition de l’accident du travail.
  • La révision du système de rémunération, qui ne peut plus être basé sur le temps de travail.
  • L‘accès des syndicats aux réseaux de communications de l’entreprise pour informer les salariés.

En général, les freins peuvent se résumer dans les points suivants :  

  • Perte du sentiment d’appartenance à l’entreprise.
  • Isolement professionnel.
  • Dévalorisation de l’image sociale.
  • Espace insuffisant dans son domicile.
  • Difficulté à gérer la “ pression ” familiale.
  • Nécessité de contacts directs.
  • Crainte d’être envahi par l’activité professionnelle.
  • Crainte d’être “ oublié ” par la hiérarchie avec pour conséquence une promotion ralentie.
  • Crainte de ne pas maîtriser l’outil technique.
  • Handicap pour les champions de la culture orale.
  • Manque de confiance vis-à-vis des collaborateurs qui ne sont plus “ surveillables ”classiquement.
  • Difficulté à entretenir un esprit d’équipe.
  • Impossibilité de conduire des actions d’apprentissage avec accompagnement physique.
  • Risques liés à la confidentialité des informations de l’entreprise.
  • Difficultés à gérer des postes de travail micro-informatique disséminés.
  • Perte de contact des représentants du personnel avec les salariés.
  • Difficultés à fédérer des mouvements revendicatifs.
  • Textes réglementaires (lois, conventions collectives, règlements intérieurs, …) inadaptés.
Faouzia Rejeb
Faouzia Rejeb
Directrice conseil et formation | Agence DifferenCie
Partager sur :
Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on email
Partager sur :
Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on email