Communiquer : la nouvelle idéologie du monde contemporain

Après plus de 20 ans, je replonge dans mes travaux de thèse de Doctorat menés à l’Université Panthéon-Assas.

C’était les années 90′, nous étions une trentaine d’étudiants inscrits à la nouvelle spécialité lancée par l’université : Médias et Multimédia. C’était donc l’époque où nous avons commencé à parler des autoroutes de l’information. Le mot digital n’existait pas encore et Google n’avait pas encore fait son apparition.

La France commençait à avoir du retard par rapport à ses voisins européens et bien évidement par rapport au monde anglo-saxon. 

Par contre, la France était fière d’avoir inventé le Minitel et la télématique mais n’a pas eu le courage d’avancer plus franchement dans les usages des technologies pour ré inventer, entre autres, les modes de travail et d’organisation. 

 

la communication, utopie du temps moderne agence DifferenCie

Ma thèse portait sur les enjeux des technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans la société française. Depuis, ces NTIC ne sont plus nouvelles ! Elle a traité l’ensemble des enjeux de communication, d’organisation et de performance liés à l’introduction de ces fameux NTIC dans nos grandes entreprises. 

Ce texte est donc tiré d’un long chapitre de ma thèse dans lequel j’ai évoqué l’utopie de la communication.

Un regard réflexif très utile pour dire à quel point le rythme de la technologie et celui de la société ne sont pas toujours raccords !

Bonne lecture

Faouzia Rejeb 

1. Communiquer : une recette toute prête à appliquer à tous les malaises sociaux 

Il faut C-O-M-M-U-N-I-Q-U-E-R ! Ce nouvel impératif catégorique est en passe de devenir la nouvelle idéologie du monde contemporain. On estime aujourd’hui que les principaux leviers de pouvoir sont aujourd’hui le contrôle des prix, des stocks, de la production ou de l’information.

La communication a acquis aujourd’hui le statut de l’évident, de ce qui « va de soi » et devient du coup le nouveau « prêt à parler » contemporain. La communication, ce dogme quotidien, est désormais la clef de la réussite. C’est une recette toute prête à être appliquée à tous les malaises sociaux. Dans un monde intellectuel concerné en premier chef par l’effondrement des grandes idéologies, la communication est en voie d’incarner un nouveau type de récits chargé de vertus et de promesses. La vitesse du changement technique qui s’opère dans ce domaine ne fait qu’amplifier le statut mythique de la communication.

Une abondante littérature utopique a particulièrement accompagné l’émergence des réseaux et celle de la communication électronique. Ce sont les acteurs potentiels d’un nouvel objet technique qui sont les premiers à apporter des projets et des utopies. Les hommes politiques se joignent à eux car ils voient dans les autoroutes de l’information une occasion pour relancer la mécanique démocratique.

« Les nouvelles technologies, écrit Armand MATTELART, excitent tout particulièrement les imaginations ; beaucoup voient dans le multimédia et les réseaux interactifs de type Internet les bases d’une cybersociété plus conviviale, plus solidaire et plus démocratique »[1]. Les espoirs placés dans les nouveaux réseaux de communication dépassent, selon les analystes, ce que peut offrir réellement un objet technique, si ouvert soit-il. Chaque fois que la communication franchit une étape vers la performance, le discours présentant la communication comme garant d’une démocratie rénovée et comme remède contre les crises sociales, réapparaît. L’information est devenue plus que jamais le leitmotiv de la modernité et les NTIC acquièrent une valeur symbolique. Face au discours ambiant assimilant les NTIC au progrès socio-économique et à une libéralisation de l’être humain, un discours opposant se construit en parallèle pour dénoncer les dangers de ces NTIC : dépendance vis-à-vis de la machine, menace pour les libertés individuelles, éclatement des relations sociales, renforcement de l’individualisme, dissolution de valeurs de solidarité, diffusion d’une culture universelle et standardisée, …    

1 Armand Mattelart, Une éternelle promesse : les paradis de la communication in Le Monde Diplomatique, novembre 1995, p.4-5.

la communication, utopie du temps moderne agence DifferenCie

2. La communication : un pilier d'une société plus solidaire ? plus conviviale ? plus démocratique ?

Quelles que soient les prises de positions, une chose est sûre : la dématérialisation croissante des échanges économiques, la prééminence des services dans l’économie, la place de plus en plus grandissante de l’information et de la communication, l’individualisation de la consommation sont autant de facteurs qui concourent à une explosion de l’information et de la communication électronique dont l’Internet est le modèle. Autrement dit, la communication est à l’origine du triomphe de l’économie mondialisée et l’internationalisation croissante des échanges qui a marqué la fin de 20ème siècle. Parallèlement, cette économie de marché a, à son tour, ouvert de nouvelles perspectives pour la communication désormais mondialisée. Un appuie mutuel qui a bien intérêt à perdurer. 

L’observation de l’univers économique actuel fait apparaître la communication comme un pilier de l’efficacité économique de l’entreprise. La révolution technique dans ce domaine ne fait qu’ancrer cette idée. La nouvelle mythologie sur les bienfaits de la communication trouve ses illustrations les plus spectaculaires dans le secteur économique où les crises affrontées sont abordées sous l’angle de déficit de communication, en ignorant parfois d’autres repères. Vous avez un problème avec vos partenaires extérieurs ? Avec vos salariés ? Vous affrontez une crise ? C’est parce qu’il y a, sûrement, un problème de communication, vous avez mal communiquer vos idées. La solution : c’est simple : il faut régler cela par une bonne stratégie de communication ! Désormais, l’acteur économique se pose toujours des questions : Est-ce que mon système d’information actuel répond à mes besoins ? Suis-je aussi performant que mes concurrents ? Comment promouvoir, innover, acquérir des nouvelles parts de marché, améliorer ma compétitivité ? Quelles sont les solutions pour que l’information soit diffusée, reçue et exploitée au bon moment par la bonne personne, … ?

Le mythe de la société de la communication s’illustre dans le discours des années 1980 sur la sortie de la crise économique à l’aide des Nouvelles Techniques de l’Information. En effet, depuis les années 1980, une économie connectée est en train d’émerger, une économie liée au Minitel, aux réseaux, aux systèmes d’information et à l’Internet. Toutefois, l’entreprise conquise par la communication n’est pas, en soi, un fait nouveau. L’important est ailleurs : il est dans cette généralisation, à la fois rapide et sollicitée, des réseaux de communication et des nouvelles techniques de l’information.

La montée en puissance de l’informatique et des réseaux peut se lire à travers le vocabulaire contemporain. Au début de l’informatisation, les « tique » ont envahi dans un premier temps les esprits et les discours (micro-informatique, connectique, bureautique, …). Aujourd’hui, ces « tique » cèdent la place au « net » (Ethernet, Internet, Intranet, Extranet) qui se traduisent dans le vocabulaire économique par la mode de « e- » (e comme electronic) : e-mail, e-business, e-commerce, e-compagny, voire la e-France[1].

[1] « e-France : c’est parti ! » : couverture de enjeux les échos, novembre 1999.

Faouzia Rejeb
Faouzia Rejeb
Directrice conseil et formation | Agence DifferenCie
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